CAMPAGNE  BELGIQUE  FRANCE                               d’après les notes d’un carnet de F. LOYEN

A.M.R  33
A.M.R 33

 

Vers 5 heures du matin nous sommes réveillés par des avions qui passent. Ce sont des allemands et la D.C.A tire dessus. Les discussions vont bon train, car c’est la première fois que l’on en voit en nombre aussi important.

 A 7 heures nous nous équipons pour partir en manœuvres. Mais le départ n’a pas lieu.

Nous recevons l’ordre de préparer les A.M.R (Autos Mitrailleuses Renault) et de faire nos sacs. J’ai à peine le temps de préparer la voiture pendant que Trichet fait les sacs et laisse la chambre propre que les autres A.M.R nous attendent. Car nous partons avec le chef Monteillet à Wassigny rejoindre le P.C de la D.L.M. Nous faisons nos adieux à Mr. Roisin ainsi qu’à Mr. Devigne et nous roulons vers Wassigny. Arrivés là nous camouflons les voitures sous les pommiers avec les mitrailleuses en D.C.A. Je termine de remplir mes chargeurs entouré d’une bande de gamins. Nous achetons quelques provisions et nous allons boire un coup avant la bagarre. Puis c’est la soupe à 11 heures. L’adjudant de la D.L.M qui nous commande nous dit d’être prêts pour midi sur la route où nous nous arrêtons près d’un calvaire. Après avoir camouflé les voitures avec des branches, on fait brûler un cierge au calvaire. Vers midi et demi nous partons vers Maubeuge. Nous roulons très vite et nous sommes obligés de nous arrêter de temps en temps car les camions ne suivent pas. A Maubeuge qui a déjà été bombardé au cours de la nuit nous arrêtons une heure pour laisser passer les chars du 39ème dragon. Puis nous passons la frontière et à partir de ce moment nous sommes acclamés partout. On nous donne des cigarettes, des bonbons, du vin des fleurs. Dans la soirée nous arrivons à Fleurus ou nous couchons dans une usine.

 

11 mai 1940

Nous faisons le graissage et le plein d’essence, lorsque dans la matinée on signale des parachutistes. Le chef Monteillet part faire une reconnaissance, mais ne trouve rien. Nous mangeons de bonne heure et nous partons en passant par Gembloux Cochene pour nous arrêter à Pontillac. En cours de route un avion nous survole bas. Tout à coup j’entends Trichet qui tire dessus en roulant, le bruit me rend à moitié sourd. C’est le seul incident. A Pontillac nous sommes placés tout autour du château où est installé le P.C de la division. De temps en temps nous faisons des patrouilles. Dans la soirée nous voyons un combat aérien entre français et boches. Ce sera la seule fois que nous voyons des avions français au combat. Il y a trois boches d’abattus. Le spectacle en vaut la vue. Le soir nous rentrons les A.M.R dans le parc du château et on les camoufle. Beauvisay reste en panne avec sa voiture et ne rentre que le lendemain. Pendant la nuit nous prenons les factions par équipages. Toute la nuit nous entendons le canon et de temps en temps un tir de mitrailleuse. Les fusées éclairantes se succèdent sans arrêt.

 

12 mai 1940

5 heures du matin nous reprenons nos positions de jour. Vers 8 heures des avions nous survolent, nous tirons dessus et ils nous répondent d’abord à la mitrailleuse puis commencent à bombarder. Quand tout revient calme nous explorons le pays et on voit revenir les gars avec les objets les plus divers, jambons, champagne, apéritifs conserves, tabac, linge, etc… Les gens évacuent chaque jour de plus en plus. Le soir et la nuit même manœuvre que la veille.

  

13 mai 1940

 

Les A.M.R partent sauf celle du chef et la mienne qui restent camouflées dans le parc. Vers l’heure de la soupe les avions reviennent vingt par vingt et très bas. Trichet tire dessus à la mitrailleuse sur un avion qui passe juste au dessus de nous. Il nous répond par une rafale et on voit les branches des arbres qui cassent de tous les côtés. Tout à coup nous apercevons 3 espèces de cigares qui se détachent de sous les ailes vite nous rentrons dans la blindée et j’ai tout juste le temps de fermer les volets qu’une pluie de fer s’abat sur nous. Ça dure pendant six heures. Je regarde à travers l’épiscope. Le parc n’est plus qu’un nuage de fumée. Mon volet est mal fermé, il reste un jour de chaque côté un petit éclat encore tout rouge rentre par le joint du volet et me rase les oreilles. J’ai eu chaud. Puis tout se calme à nouveau. On sort de notre abri pour voir les dégâts. Le parc est plein de trous une A.M.R a été touchée par une bombe et est trouée. La camionnette de l’équipe du génie est criblée d’éclats ainsi qu’une camionnette d’essence. Plusieurs maisons sont abîmées. Une bombe est tombée dans le cimetière qui entoure l’église et plusieurs tombes sont ouvertes. Nous les refermons.

  

14 mai 1940

Maintenant la fusillade se rapproche et par les belges qui passent soit en vélo ou à cheval en traînant des caissons ou quelquefois un canon, nous apprenons qu’ils ne sont qu’à 3 kilomètres. En effet au cours de la nuit le bruit de la bataille se rapprochait de plus en plus. Les lignes téléphoniques sont coupées à chaque instant et l’équipe de transmission du 8ème Génie ne chôme pas. A peine viennent-ils d’arriver avec leurs camionnettes qu’ils sont souvent obligés de repartir pour refaire les lignes sous le bombardement. Et moi qui avais cru que le Génie c’était la planque ? Vers 3 heures de l’après-midi nous recevons l’ordre de repli c’est la première fois, mais ensuite nous ne ferons que cela. Nous sortons les A.M.R et nous les plaçons sur le côté de la route en les camouflant sous les arbres, deux voitures en tête, une au milieu et les deux autres en queue de convoi. Nous attendons pendant 1 heure et demie. Mais il y a déjà la moitié des voitures de parties lorsque nous partons. C’est un adjudant qui commande la colonne. Sur la route nous ne voyons que des maisons écroulées, des arbres abattus en travers de la route et qu’il nous faut contourner. Ça et là il y a de grands entonnoirs au milieu de la route ou sur le côté de la route. Les réfugiés s’en vont les uns à pied en traînant les enfants qui pleurent et ne peuvent même plus marcher. Les autres avec de grands chariots ou ils ont entassé ce qu’ils ont pu sauver. Ceux qui avaient des autos sont partis depuis longtemps. Ils nous gênent beaucoup pour rouler. Il y en a qui nous font signe d’arrêter pour grimper dans les camions, mais nous sommes obligés de leur refuser. On voit un car et des autos mitraillées et quelques voitures qui ont brûlé sur la route, bien des réfugiés sont tués et restent sur la route. Un avion allemand gît dans un lamentable état dans un champ. Je suis content de ma voiture, elle donne à fond. Arrivé à Gilbresse à 11 km de Namur nous nous apercevons que nous nous sommes trompés de route car les boches sont déjà à Namur qu’il nous faut contourner. Je veux faire demi-tour mais le levier de direction reste dans la main. Avec Trichet on démonte le couvercle du différentiel, c’est un boulon de butée qui est coupé au ras de la bande de frein un boulon de 6 mm et long de 15 mm. Nous essayons d’arracher le bout qui reste mais il n’y a rien à faire et après nos efforts nous n’avons réussi qu’à abîmer la pièce. Comme il est impossible de remorquer la blindée sans direction, il faut l’abandonner. Je retire les mitrailleuses, chargeurs, appareils optiques et paquetage que l’on charge dans une camionnette de dépannage. Et nous voulons faire sauter la voiture mais comme il passe encore des convois, il n’y a rien à faire. Nous embarquons dans la bagnole et on reprend la bonne route arrivés au carrefour on retrouve la voiture à Wantererburg ?? qui a voulu faire demi tour et qui est dé-chenillée dans le fossé.

On arrête et on lui donne la main à remettre la chenille Le dépanneur part en disant que c’est n’est pas la peine qu’il s’expose puisqu’il ne connaît rien aux A.M.R. Il dit qu’il va nous attendre à l’abri d’un bois à quelques kilomètres et nous envoyer la dernière A.M.R pour nous sortir de là. En attendant on commence à couper la chenille et à dégager  la terre à la pelle. 

 

 

Le 8ème escadron passe avec les Laffly en disant qu’ils ont les Allemands derrière eux. Enfin l’autre A.M.R arrive et nous sortons la première et remettons la chenille. Cela nous a pris près d’une heure. Trichet monte dans une et moi dans l’autre et on roule à fond de train au carrefour il ne reste que du génie qui abat les arbres sur la route et encore ils ont presque fini. Arrivés au bois, point de camionnette, nous ne la reverrons jamais. Nous restons sans rien plus de masque à gaz, juste notre casque et un revolver. Nous abordons un virage à fond de train à l’entrée d’un village, des types du génie nous font de grands signes, mais nous ne pouvons-nous arrêter à temps. Voyant cela Vanie prend un virage vers la route à droite et coince la voiture dé-chenillée pour la deuxième fois contre un mur. 

Les gars s’approchent de nous et nous disent que nous l’avons échappé belle. La route était minée et on est passé à 10 cm de la mine. On essaye de décoincer la bagnole mais pas moyen ni en avant, ni en arrière. Il ne veut pas l’abandonner et essaye lui-même sur une chenille en la secouant dans les deux sens. Elle a bougé un peu. On attelle l’autre voiture devant et les deux moteurs donnent à fond enfin elle sort mais la chenille est presque sortie. Avec une masse, un sous la voiture pendant que celle-ci avance et recule nous réussissons à la placer sur les galets. Nous repartons et en route nous croisons un régiment qui monte pour tâcher de maintenir l’ennemi à la barrière anti-char. Nous sommes obligés de nous arrêter sur le côté de la rue dans un village. Nous sommes loin du front et on n'entend plus que des avions. Nous cassons la croûte et on repart, au démarrage Vanie qui est énervé braque un peu trop sec, le derrière de la chenille accroche le trottoir et vlan la chenille tombe pour la troisième fois, il est 11 heures du soir. Mais cette fois il nous faut que 20 minutes pour la remonter. 

Et nous repartons vers 2 heures du matin on s’arrête dans une brasserie et on gare les voitures. Puis on se couche dans une cave.

 

15 mai 1940

Nous nous levons à 5 heures. Le chef Montillet prend sa carte et examine la route pour se rendre à Courcelles, où se trouve l’atelier de réparation de l’E.R.D car les AMR en ont besoin. Nous roulons et arrivons sans incident dans la matinée. A notre arrivée tout le monde nous regarde en disant : Les pauvres gars ils ont dû en voir de drôles. C’est vrai que nous n’avons guère dormi et nous ne sommes pas lavés depuis le 9 mai. Il y a 8 A.M.R de réparées qui sortent de l’atelier. Comme Trichet et moi nous sommes en rab, on veut nous renvoyer tout de suite au front. On rouspète, nous sommes sans paquetage sauf ce que l’on a sur le dos et nous avons besoin de repas. L’atelier étant débordé de travail on nous envoie avec les deux voitures qui restent en dépannage du 2ème bataillon à 8 km de là. Après quelques tâtonnements nous arrivons vers 2 heures de l’après midi. Le démontage commence vers 3h, à 4 h alerte. Les avions viennent mais ne bombardent pas. Les gars qui n’en n’ont guère vu encore se promènent partout. On les engueule, ils disent qu’on est des dégonflés. Sur un Laffly un gars tire en DCA à la mitrailleuse tout d’un coup elle s’enraye et il ne peut la décoincer. Je grimpe sur la bagnole et à coup de marteau sur le levier d’armement je réussis à la décoincer et on tire. Les alertes se suivent toute la soirée et je passe la nuit sur la banquette du Laffly sans dormir car les réfugiés passent sur la route toute la nuit. Nous sommes égarés.

 

16 mai 1940

On travaille sur les A.M.R et vers midi elles sont prêtes. Mais les Allemands se rapprochent et il faut partir. Deux chars Hotchkiss reviennent criblés de trous d’obus antichars. Ce sont les deux qui restent sur un peloton. On mange la soupe et on repart. A Mariemont, je retrouve l’escadron dans un bois. Je passe au camion magasin et je prends un masque à gaz. La journée se passe sans trop d’alertes. Le soir je suis de garde et la nuit passe.

 

17 mai 1940

On ne sait pas que faire de moi. Je suis avec Monmet qui a perdu aussi son A.M.R et qui a retrouvé dans une voiture civile un F.N. Dans la journée les A.M.R reviennent prendre de l’essence et des munitions on remplit les chargeurs. Peyrasse ramène un canon de 25 qu’il a trouvé. Puis le soir nous avons l’ordre de partir et on roule vers un village où nous arrivons à la nuit. On gare les bagnoles, mange la soupe et nous prenons la garde. Ça cogne partout on voit l’illumination du départ du canon de 75 et on est abruti par le bruit. Ce n’est que des fusées éclairantes dans le ciel.

18 mai 1940 

De bon matin nous repartons pour Denain. On repasse Charleroi où ça brûle partout mais c’est déjà la nuit car nous avons fait de longs détours et de nombreux arrêts. Charleroi est encombré de troupes. C’est par quatre colonnes de voitures dans les rues et les gars du train qui jalonnent, on a bien de la peine à s’y reconnaître. De nombreuses maisons sont démolies et déjà le pillage commence. Au milieu d’une rue il y a un énorme trou de torpille qui fait bien 2,50 m de profondeur. C’est par miracle qu’on ne tombe pas dedans, car on roule toujours sans lumière. On roule sur les débris de toutes sortes.

De loin on voit un incendie, c’est une usine de pétrole à Hornoin qui brûle. On passe à travers les flammes qui sortent par les bouches d’égout.

 

19 mai 1940

Nous arrivons à Arleux puis Hamel.

Dans la matinée, on s’installe dans le village qui est évacué. Tous les camions sont camouflés et les A.M.R prennent position en dehors du village. Quant à moi je prends la garde au P.C de l’escadron 24 heures sur 24. Comme il n’y a pas de ravitaillement on tue des poules et un veau. Notre boisson c’est du champagne et de bonnes bouteilles que l’on trouve dans les caves. En faisant une tournée je trouve 400 litres d’essence, chose précieuse. Je fais des patrouilles à pied et je passe la nuit dans un avant poste. Les boches sont très près.

 

20 mai 1940 

La matinée est calme. Des mines sont posées sur toutes les routes. Dans l’après midi les mortiers allemands nous tirent dessus. On creuse des abris. Le mouchard nous survole tout l’après midi. Les mitrailleuses allemandes tirent de l’autre côté de la rivière. On fait sauter un pont. La nuit je prends la garde en plein champ entre deux routes. Le chef Bucheman qui a cru voir quelque chose tire un coup de fusil mais il n’y a rien.

 

21 mai 1940

Dans la matinée une A.M.R part en patrouille vers un bois suivie d’une patrouille à pied, un observateur de l’artillerie prend ça pour un char boche et les 75 tirent mais après l’envoi de fusées signaleuses le tir cesse. Dans la journée ils reprennent leurs tirs mais trop courts, nous prenons tout sur le village. On fait allonger le tir mais il y a un mort. Le mouchard rode encore. Vers le soir arrivent des tirailleurs qui s’installent pour nous remplacer et nous partons dans la soirée.

 

22 mai 1940

Nous avons roulé toute la nuit et nous arrivons à Salorne vers 6 heures du matin. On reste toute la matinée et les A.M.R partent en patrouille. Un de nos escadrons met le feu et coule les péniches sur le canal. A part quelques rafales de mitrailleuses et la présence de Messerschmitt c’est calme. On casse la croûte et on repart pour La Bassée où se trouvent des Anglais. Dans la journée c’est encore à peu près calme sauf un petit bombardement d’aviation.

 

22 mai 1940

Dès le matin au petit jour ça commence à tirer et l’artillerie s’en mêle. Les boches sont de l’autre côté du canal ont les voit très bien. Aussi ça donne dur il y a beaucoup de pertes. Nous y restons plusieurs jours, je ne sais pas combien car je n’ai plus le temps de jeter un coup d’œil sur le calendrier. Nous repartons de nuit et nous couchons une partie de la nuit dans une ferme à quelques kilomètres de là.

Dans la matinée nous repartons. En route nous sommes pris par un tir de 77 et il ne fait pas bon sur la route. On voit un tas de cadavres sur le côté de la route ce sont des espions qui ont été fusillés. Nous repassons la frontière à Bailleul puis nous allons sur Ypres pour arriver le soir à Reningnets où les A.M.R prennent position en arrivant vers 11 h le soir. L’artillerie crache toute la nuit. Les habitants n’ont pas pu évacuer les routes sont trop encombrées et la plupart ne souhaite que l’arrivée des Allemands. Il y en a un qui refuse de l’eau pour un blessé ainsi que du lait pour des gosses. Ce n’est qu’avec un revolver sous le nez qu’il s’exécute. Pour manger c’est dur aussi, nous sommes obligés de prendre des cochons de force. Nous y restons trois jours. Les avions boches nous lancent des tracts avec la carte de la Belgique et la position de l’armée. Ils marquent : soldats français vous êtes encerclés, vos chefs ont fui en avion, vous avez été trahis, déposez les armes, personne ne le croit. Nous repartons toujours de nuit par Poperinge et Watou où nous arrivons dans la matinée. Là, le chef comptable Porcheron arrête la colonne à l’entrée du pays et comme on ne sait plus quelle direction prendre il envoie un motocycliste au P.C qui est à 15 km de là. Mais le type ne revient que deux heures plus tard, pendant ce temps nous voulons camoufler les voitures sous les arbres mais le chef à plusieurs fois ne veut pas. Les avions boches s’amènent et une grande partie de la colonne est détruite, 3 citernes d’essence brûlent ainsi que 2 camions de munitions qui sautent. Il y a des morts et des blessés. On retape en vitesse quelques camions et on repart vers Bergues. A partir de Bergues tout est inondé et souvent, il nous faut faire bien des kilomètres pour passer. Les Anglais rangent leurs bagnoles dans les champs et y mettent le feu. D’autres les abandonnent le long des routes et ce n’est pas facile de passer. Nous arrivons à Leffrinckoucke le 27 mai. L’artillerie allemande donne à fond sur la côte avec l’aviation. Nous y restons jusqu’au 29. Puis nous partons rejoindre le régiment à Bray Dunes. Là aussi ça donne dur. Heureusement que la plupart des obus n’explosent pas dans le sable. A chaque instant des avions sont descendus par la DCA. Sur cinq bateaux qui partent de la côte il y a deux à trois de coulés. L’embarquement se fait très rapidement à Dunkerque et partout sur la côte. Pour embarquer, les gars sont dans l’eau jusqu'à la poitrine à travers les pruneaux qui tombent partout dans l’eau. On creuse des trous dans le sable pour s’abriter. Mais à plusieurs fois des gars sont ensevelis dans le sable par l’explosion d’un obus, et il faut les dégager en vitesse. Nous n’avons pas grand-chose à manger : un peu de singe et des biscuits de guerre que des gars avaient gardés et qui sont distribués et rien à boire. Moi j’ai un bidon plein de rhum mais à quoi cela me sert. Toute la nuit les obus tombent et la DCA anglaise ne cesse de tirer. Partout on ne voit que le sillage des balles traçantes. Lendemain, c'est-à-dire le 30 mai, on part vers Dunkerque à pied, on s’arrête vers Leffrinckoucke pour s’organiser en groupe pour l’embarquement, on mange et on repart pour passer le nuit à Malo les Bains. Pour saluer notre arrivée les boches font un tir de barrage sur la route heureusement il n’y a pas de blessé. Dans la soirée c’est l’aviation. J’en ai tellement marre que je ne fais même pas mon trou et avec Marnet on se couche le long d’une dune bien résolu à ne pas bouger de là autant périr là qu’ailleurs.

 

  

01 juin 1940

Dans la matinée on part vers Dunkerque, du moins ce qu’il en reste quelques maisons sont encore debout, mais partout ce n’est que des entonnoirs dans les rues qui sont encombrées de décombres. Partout il y a des incendies. Le port aussi a drôlement souffert. La plupart des ponts et portes du bassin sont détruits. Nous faisons des trous dans le sable à 1500 mètres de la jetée et nous attendons l’heure de notre embarquement. Il y a une usine, une raffinerie de pétrole qui brûle, la fumée noire fait un rideau de 5 à 600 mètres de haut. Les avions boches en profitent et viennent toujours à travers pour surprendre les bateaux à leur sortie du port.

Le sol tremble aux coups de bombes qui tombent en mer. Enfin notre tour vient d’être embarqués. Les quais sont noirs de troupes. Une seule bombe au milieu et il y a des centaines de morts et blessés. L’embarquement est bien organisé et n’a pas demandé longtemps. Nous sommes maintenant sur le Prague, un paquebot anglais armé seulement de quelques mitrailleuses de DCA. En embarquant on nous a donné au passage une ceinture de sauvetage à chacun. Quand nous partons, il doit être entre 11h et midi. Dès que nous avons perdu de vue les côtes, les avions s’amènent et lancent leurs bombes, mais nous manquent, elles tombent toutes en arrière à 5 ou 600 mètres. Les mitrailleuses leur tirent dessus, ainsi qu’un canon de DCA d’un croiseur proche. Les avions disparaissent. La mer est couverte de bateaux. Un peu plus tard nous nous trouvons un peu isolés, les autres bateaux, vedettes et croiseurs ne sont plus qu’à vue. Un avion apparaît et après un essai infructueux nous atteint à l’arrière. Le bateau se soulève puis retombe. Les marins s’affairent. A nos questions ils répondent qu’il n’y a rien. Mais petit à petit l’arrière s’enfonce dans la mer et il nous faut se serrer tous à l’avant, puis débarquer une partie sur un autre bateau qui s’est approché. Puis encore sur deux autres. Je reste toujours sur le Prague ainsi que beaucoup d’autres en me disant que celui-ci ayant subi déjà deux attaques il est peu probable qu’il en subisse une troisième. Bien nous en prend car le deuxième bateau sur lequel le Prague s’est débarrassé est coulé, et beaucoup ont été noyés. Mais pour nous aussi il faut partir et nous passons sur un dragueur de mines anglais, l’Arthon.

En approchant des côtes anglaises que nous longeons on voit partout des mâts qui sortent de l’eau montrant ainsi les pertes subies. Le Prague a subi le même sort il est échoué près des côtes. Enfin nous débarquons à Margate. Là nous montons tous dans des autobus très chics qui nous emportent à la gare. En pénétrant sur le quai on nous donne des genres de brioches et du thé au lait.

Puis après avoir cassé la croûte nous montons dans le train, nous sommes tous assis sur de bons sièges rembourrés. Pour nous c’est un drôle de changement. Des sections de scouts, jeunes gens et jeunes filles nous distribuent des petits sacs garnis de sandwiches, des oranges et toujours du thé au lait qui est d’ailleurs excellent. Puis nous roulons, il doit être vers 6 heures du soir quand nous partons de Margate. En route à chaque arrêt il y a distribution de gâteaux, sandwiches, etc... Les avions anglais patrouillent partout. Nous passons la nuit dans le train. Et le lendemain vers 7 heures du matin nous arrivons à Weymouth.

 

 02 juin 1940

 

Nous quittons la gare et nous sommes conduits dans une église désaffectée. Là le général Bougrain qui commande la 2ème D.L.M nous fait un discours. Il nous dit qu’il est très content de nous et parle de tous ceux qui sont tombés. Il termine en disant que nous allons retourner en France et combattre de nouveau. Puis nous sortons deux par deux et au passage on nous donne à un, une petite boite de corned-beef et à l’autre un morceau de pain. Puis on traverse la ville pour se rendre au stade de football d’une école où nous nous installons. Là les pompiers installent de grands bacs et des robinets et on nous donne du savon pour nous laver. Nous en avons bien besoin. Puis dans un bâtiment, une sorte de cantine où nous avons du pain, pâté, et thé à volonté. Avec quelques copains : Simon Jegoden et Lefrancois, nous allons faire un tour en ville. Partout nous sommes accueillis avec enthousiasme, mais nous ne comprenons pas, sauf : « souvenir, souvenir ». Pour cela tout leur est bon : un bouton, un casque, une baïonnette ou une signature. Nous allons dans une espèce de crémerie où nous prenons des oranges et des gâteaux. Nous parlons quelques instants avec une personne qui connaît le français. Mais on voit qu’ils ne savent pas ce qu’est la guerre. Nous rencontrons des jeunes filles dont une parle notre langue, elle se nomme Violette Kim, il nous faut donner nos signatures et on discute. Nous voyons passer des gars du 29ème Dragon avec leur barda, ils vont prendre le bateau et nous disent que le 1ème Dragon est parti. Nous regagnons notre stade et je prends mon fourbi mais il manque le casque qui à dû être pris comme souvenir et nous nous dirigeons à toute vitesse vers le port, en route on rencontre ce qui reste du régiment et on se fait engueuler. On embarque sur l’Arkangel. Mais nous ne partons pas beaucoup avant la nuit. Nous allons vers Cherbourg. Au cours de la nuit un avion nous survole et échange des signaux lumineux et notre route est déviée vers Brest. Toute la journée se passe en mer. Vers le soir nous entrons dans la rade de Brest, mais nous y passons la nuit et n’entrons dans le port que le 4 juin. On débarque et nous attendons, un moment après des cars viennent nous prendre et nous emmènent à l’aérodrome de Guipavas. Puis départ pour Evreux et de nouveau c’est le repli jusqu'à Montreuil Bellay Fontevrault où je prends position avec un fusil mitrailleur. Puis le 22 juin je suis prisonnier à Lerné avec le groupe et conduit par Chinon à Bourgueil puis Saumur jusqu’au 10 juillet. Puis je passe en zone libre où après regroupement à Méobecq près de Pellevoisin, je suis envoyé à Issoudun et affecté à la régulation routière N°9 le 01 août 1940.

F. LOYEN

A été incorporé au 1° régiment de dragons le 15 octobre 1938, arrivé au corps le 04 novembre 1938, et aux armées le 02 septembre 1939 

Prisonnier près de Saumur du 22 juin 1940 au 10 juillet 1940

Démobilisé le 09 octobre 1941

 

Contraint au travail obligatoire aux chantiers de Penhoët (St Nazaire) comme charpentier du 05 novembre 1942 au 23 juin 1944